SAGA
CD 11 titres / digipack +livret

SAGA : [saga]. n.f. (av.1740 ; a. nord. saga « dit, conte » ; Cf all. Sagen, angl. to say).
Liner note par Jean-Marc Gélin, journaliste et membre de l’académie du Jazz
Un samedi après-midi un peu morne. Embouteillages. Encore une heure au moins avant d’arriver chez moi en voiture. Radio position «on».Dans le poste des voix qui disent beaucoup et pas grand chose. Puis tout à coup, deux voix qui se détachent et me captivent immédiatement. J’attends la fin du morceau espérant que l’animateur donnera le nom de ce groupe :
« Cordes Sensibles». Un sublime duo de voix. Celle de Caroline Arène et celle...d’Isabelle Gueldry.
C’était il y a 7 ans déjà.
Depuis j’ai eu l’occasion de rencontrer Isabelle et j’ai toujours suivi son travail de près ou de loin. Car il m’apparaissait déjà évident qu’Isabelle avait ce tempérament, et justement cette sensibilité qui distingue les chanteurs et les chanteuses rares. Ceux et celles qui semblent parfois s’effacer, ou plutôt se confondre avec la musique dont ils se font les fi dèles serviteurs.
Plus que des interprètes, des enlumineurs. Avec eux, la voix se confond avec l’instrument. Plus de césure, plus de ségrégation entre chanteurs et musiciens puisque les chanteurs et les chanteuses de cette classe-là fusionnent avec ceux qui les accompagnent. Peut être est-ce avec le grand Roger Letson qu’Isabelle a appris cela. L’art de mêler l’abnégation et l’interpretation. Ou bien est-ce à force d’entendre et d’écouter minutieusement ses idoles. Je me souviens d’un soir où elle
m’avait fait écouter, avec des étoiles dans les oreilles, cette belle version de Goodbye Pork Pie Hat par Joni Mitchell.
Infl uence.
Isabelle se lance à l’eau aujourd’hui avec ce premier album où elle convoque tous ceux qui l’ont inspirée durant toutes ces années, en se constituant un répertoire sublime et qui, alors qu’il pourrait paraître difficile, se revèle sous le charme de sa voix d’une limpide évidence harmonique, subtile et raffi née.
Isabelle ne donne pas dans la facilité des standards mille fois entendus. Elle va chercher, avec le savoir d’une amoureuse de la musique, un répertoire exceptionnel signé par d’immenses compositeurs. Elle y recherche les chaleurs harmoniques et s’inspire des plus grands. Une composition signée Norma Winstone et Kenny Wheeler y côtoie Tom Harrell ou Steve Kuhn. Ralph Towner ou encore Steve Swallow font partie de l’aventure. Et puis il ne faudrait pas oublier ces deux très belles compositions de l’immense Michel Perez.
De ceux-là elle se fait l’interprète délicate. Avec Isabelle, le temps semble en suspension dans une sorte de limbe poétique faite de douceur et de sérénité. Elle manie avec l’agilité souple d’une grande chanteuse les renversements d’accords les plus délicats, sans jamais donner le moindre effet à sa voix. Juste en la posant, comme on poserait un baiser sur des mots.
Pour servir ce propos fait de velours et de miel il fallait une entente fusionnelle avec ceux qui l’accompagnent. Ceux qui peuvent souligner. Ceux qui mettent en évidence avec autant de tact que de discrétion. Ceux qui se font chanteurs aussi, à leur manière, avec leurs cordes sensibles.Ceux pour qui chacune des notes jouées apporte sa part précieuse.
Deux révélations : le serbe Sava Medan à la contrebasse et le guitariste allemand Karsten Hochapfel. Tous deux à l’écoute des chatoyances, tous deux concentrés sur ces harmoniques qui enveloppent. Tous deux dans l’intelligence de ces évanescences.
Si vous commencez à écouter Saga, ces mélodies ne vous quitteront pas et la voix d’Isabelle continuera à résonner en vous, bien après le dernier morceau.
Et puisqu’il en faut bien un, Isabelle reprend à sa manière un standard,«Some Other Time», accompagnée simplement de la contrebasse, à la manière d’une chanteuse de blues.
La dernière note jouée, vous comprenez alors ce qui peut unir des chanteuses comme Norma, comme Susan, comme Joni ou comme Isabelle. Cette façon sans esbrouffe de donner à la musique et aux textes leur part de poésie. D’élever l’âme en quelque sorte.